Le grand orgue de la Salle Pleyel (1)
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          L’orgue monumental qui vient d’être construit pour la salle Pleyel par la Maison Cavaillé-Coll est un instrument à traction électro-pneumatique, de 4 claviers manuels d’une étendue de 5 octaves, ayant 61 notes d’ut à ut, et une pédale de 32 notes allant de ut à sol. Les jeux aux sommiers manuels ont 73 tuyaux chacun, ce qui donne l’octave aiguë réelle pour tous les jeux.
          Cet instrument possède 56 jeux réels, 12 jeux empruntés, 3 jeux accessoires, 3 jeux accessoires empruntés, soit un total de 74 jeux à la console. Il comprend 2 jeux de 32 pieds à la pédale, une soubasse (bouchée) et une bombarde en métal.
          Le nombre des tuyaux s’élève à 4.800.
          Voici la nomenclature des jeux :

         Premier clavier : grand-orgue, 61 notes, 73 tuyaux, pression 140 m/m. – Montre 16, Bourdon 16, ; Montre 8, Diapason 8, Salicional 8, Flûte harmonique 8, Bourdon 8, Prestant 4, Flûte octaviante 4, Plein jeu 6 rangs, Bombarde 16, Trompette 8, Cor 8, Clairon 4,

         Deuxième clavier : positif expressif, 61 notes, 73 tuyaux, pression 135 mm. – Quintaton 16, Principal 8, Viole d’orchestre, Cor de nuit 8, Flûte douce 4, Quinte 5 1/3, Nazard 2 2/3, Quarte de nazard 2, Tierce 1 3/5, Basson 16, Cromorne 8, Clarinette 4, Celesta.

         Troisième clavier : récit expressif, 61 notes, 73 tuyaux (pression 150 m/m). – Dulciane 16, Diapason 8, Viole de Gambe 8, Voix céleste 8, Flûte conique 8, Flûte d’amour 4, Gambe 4, Sesquialtera 2 rangs, Fourniture 4 rangs, Bombarde 16, Trompette 8, Basson-hautbois 8, Voix humaine 8, Clairon 4, Glockenspiel.

         Quatrième clavier : solo expressif, 61 notes, 73 tuyaux. – Gambe 16, Stentorphone 8, Cello 8, Cello céleste 8, Grosse flûte 8, Flûte ouverte 4, Grand cornet 8 rangs, Tuba magna 16, Tuba mirabilis 8, Tuba clairon 4, cloches, 25 notes, sol à sol.

       Clavier de pédale. 32 notes. – Soubasse 32, Violon basse 16, Flûte ouverte 16, Dulciane 16, Soubasse 16, Violonbasse 8, Dulciane 8, Flûte 8, Bourdon 8, Flûte 4, Dulciane 4, Bourdon 4, Quinte 10, Quinte 5, Bombarde 32, Bombarde 16, Bombarde 8, Bombarde 4, Glockenspiel, Cloches, Celesta.
          Ces jeux de pédale prennent à des octaves différentes les tuyaux de 6 séries qui sont :
          Bourdon, en bois                   32 – 16 – 8 – 4
          Violon basse, en bois                     16 – 8 –
          Flûte ouverte, bois et métal            16 – 8 – 4
          Dulciane, en métal,                        16 – 8 – 4
          Quinte                                  10 –   5 –
          Bombarde, en métal              32 – 16 – 8 –4
          et aussi :
          Les trois jeux accessoires empruntés.
          Les accouplements se décomposent ainsi :
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1 Article paru dans Le Monde musical, le 31 mars 1930 et aimablement communiqué par monsieur Jean-Dominique Pasquet.
L’Association des Amis de l’Art de Marcel Dupré a réédité la plaquette réalisée lors de l’inauguration de cet orgue par Marcel Dupré, (N.D.L.R.).

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          Tirasses unisson. – Grand orgue, positif, récit, solo.
          Tirasses octaves aiguës. – Grand orgue, positif, récit, solo.
          Suppressions unissons. – Grand orgue positif, récit, solo.
          Accouplements unissons. – Solo au grand orgue, Récit au grand orgue, Positif au grand orgue, Solo au récit, Solo au positif, Récit au positif.
          Accouplements octaves aiguës. – Grand orgue, Positif, Récit, Solo, Solo au grand orgue, Récit au grand orgue, Positif au grand orgue, Solo au récit, Solo au positif, Récit au positif.
          Accouplements octaves graves. – Grand orgue, Positif, Récit, Solo, Solo au grand orgue, Récit au grand orgue, Positif au grand orgue, Solo au récit, Solo au positif, Récit au positif.
          Sostenutos. – Grand orgue, Positif, Récit, Solo.
          Trémolos. – Grand orgue, Positif, Récit, Solo.
          Le sostenuto ou prolongement harmonique, permet de faire entendre une note ou un accord, même lorsque les doigts cessent de jouer. Un deuxième accord, ou même note, suffit pour détruire l’accord ou la note précédente. Ce sont donc les dernières notes tenues que l’on entend.

          L’orgue comporte en outre :
          50 combinaisons ajustables commandées par des pistons placés entre les claviers et aux pieds. Elles se décomposent ainsi :
          8 combinaisons pour le Solo, 8 pour le Récit, 8 pour le Positif, 8 pour le grand orgue, 8 pour la pédale (aux pieds, à droite) et enfin 10 combinaisons (aux pieds, à gauche) absolument indépendantes des combinaisons de claviers. Ces combinaisons générales commandent tout l’orgue, jeux et accouplements.
       De plus, la console possède, tant aux mains qu’aux pieds, des réversibles d’accouplements, de trémolos et de sostenutos qui permettent à l’exécutant d’effectuer les diverses manœuvres sans que les mains soient obligées de quitter les claviers.
          A droite des 3 pédales expressives se trouve une pédale de crescendo et decrescendo qui amène ou enlève, par un double mouvement de bascule, tous les jeux de l’orgue, du plus faible au plus fort.
          L’ordre d’entrée ou d’annulation des jeux est gradué suivant les différentes familles de timbres, si bien que la pédale de crescendo est, en quelque sorte, une synthèse des principaux mélanges de jeux que l’on peut effectuer sur l’instrument.
          La console est mobile, c’est-à-dire qu’elle est reliée à l’orgue par 750 fils de commande, isolés, et réunis en un câble de 6 centimètres de diamètre et de 22 mètres de long. On peut donc, selon les besoins, placer la console au centre de la scène pour un récital, ou près du chef d’orchestre, si l’organiste joue en solo avec orchestre, ou encore dans l’orchestre même si l’orgue ne fait qu’une partie d’accompagnement.
          Toute les commandes de jeux et d’accouplements sont rendues visibles à l’organiste par des voyants lumineux. Leur course est de 6 millimètres et la lampe s’allume à la fin de la course pour indiquer que le registre est en fonction. Une deuxième pression du doigt éteint la lampe et annule le jeu.
         Le grand orgue de la salle Pleyel est, par ordre de date, le 4e orgue à 4 claviers qui fonctionne actuellement dans Paris. Les trois autres sont : l’orgue de la Madeleine (1845), l’orgue du Trocadéro (1878), et celui du Sacré-Cœur de Montmartre construit en 1900 et placé en 1918, tous construits par Cavaillé-Coll.
          Le nouvel instrument est digne du nom de cette illustre Maison. L’équilibre général de l’harmonisation est la perfection même. Chaque jeu est timbré comme il convient, nettement caractérisé sans être poussé, de sorte que tous les mélanges que l’on peut combiner sonnent d’une façon pleine et musicale.
      Quant à la mécanique électrique, elle réalise un énorme progrès en France. Toutes les commandes sont d’une instantanéité absolue, et l’attaque est tellement précise et douce que l’on peut répéter une même note jusqu’à douze fois à la seconde. La légèreté des claviers égale celle des meilleurs pianos. Les pédales d’expression obéissent immédiatement à la moindre pression. Les pistons ajustables aux mains et aux pieds peuvent changer en un tiers de seconde un nombre considérable de jeux et d’accouplements préparés. La coupure de la pédale, les Sostenutos des claviers, l’ajustement automatique des boîtes expressives, les divers annulateurs sur les crescendos, tous ces perfectionnements souples, silencieux, rapides et sûrs permettent de réaliser sur cet orgue des effets de couleurs d’une variété infinie.
         Mon éminent ami Henry Willis, le célèbre constructeur d’orgues anglais, auquel on doit l’orgue de la cathédrale de Westminster, de St-Paul, de l’instrument géant de la Cathédrale de Liverpool (164 jeux), venu spécialement à Paris pour l’inauguration de l’orgue de la Salle Pleyel, a examiné l’instrument dans ses moindres détails pendant plusieurs heures et m’a exprimé sa pleine satisfaction.
          Son seul regret, qui est aussi le mien, est qu’une partie notable du volume de la sonorité ne parvient point à l’oreille de l’auditeur. J’estime que cette perte est d’au moins 33%. L’orgue est, en effet, placé au-dessus de la scène de la salle dont il est séparé par un plafond. Dans ce plafond, a été pratiquée une ouverture, de 15 m. 80 de long sur 2 m. 40 de large par laquelle le son pénètre dans la salle. Elle est malheureusement nettement insuffisante comme l’on peut s’en convaincre si l’on écoute l’orgue dans le fond de la scène d’abord, puis dans la salle même. Il suffirait de ménager une deuxième ouverture parallèle à la première, à la hauteur de la bouche des tuyaux d’orgue, pour permettre au son de s’épanouir.
          Souhaitons que M. Gustave Lyon, à qui nous devons dans Paris la réalisation d’efforts prodigieux, ne recule point à prendre les mesures nécessaires pour que toute la puissance sonore de ce magnifique instrument parvienne à l’auditeur. Il rendra ainsi à l’orgue de la Salle Pleyel toute sa majesté sans nuire le moins du monde à l’acoustique de la salle.

Marcel DUPRE


Le concert de Marcel Dupré


          Je ne suis pas sûr d’aimer l’orgue. Mais j’aime infiniment l’orgue de Marcel Dupré. Avec lui, cet instrument dépouille sa tonitruance opaque, son emphase solennelle et sa majesté mécanique pour devenir souple à merveille et différencié à souhait.
         Dupré est prodigieux d’équilibre. Dans chaque interprète il y a le virtuose, le musicien et l’artiste qui ensemble font ménage plus ou moins serein. Chez ce diable d’homme, le musicien est aussi souverainement capitaine de son interprétation que le virtuose de ses touches, pédales et leviers. Et l’artiste est un stratège classique qui jamais ne permet à l’exécutant-tacticien de s’arrêter outre mesure aux actions de détails.
          Ainsi conduites, l’autre soir, et inaugurant le grand orgue de notre grandissime salle, œuvres de Bach et de Mozart, de Clérambault et de Daquin, de Franck et de Widor, toute aisance et tout relief, résonnèrent avec leurs plans intangibles, registrés avec la plus ingénieuse diversité et pourtant sans bigarrure, avec leur rythme sans fêlure et leurs silences habités, et avec cette incomparable étoffe de calme et de rapidité mâte et distincte qui équivaut, chez cet organiste, au toucher d’un grand pianiste.
          Et puis, de la musique de Marcel Dupré. De celle qu’il a écrite d’abord : Deuxième Symphonie et Prélude et Fugue, conçus dans le même esprit de classicité que ses interprétations : souplesse des contours, mordacité des rythmes, clarté des symétries.
         Et enfin celle que Dupré crée sous nos yeux et oreilles ébahis : un Scherzo et une Fugue improvisés et où l’unique ensemble de dons qui fait sa perfection, nous enchanta, nous envoûta.
Fred GOLDBECK