Marcel Dupré professeur d'improvisation au conservatoire de Paris,
mise en place d'une pédagogie de la technicité


Cet article se propose d'identifier ce qui dans l'enseignement de l'improvisation que Dupré mit en place à la classe d'orgue du Conservatoire de Paris, différait de ce qui était pratiqué par ses prédécesseurs directs, et d'en établir les préalables et les conséquences en termes de performance et de pertinence artistique. Dans la mesure où l'orientation pédagogique de Dupré resta particulièrement stable pendant les 28 ans que dura son professorat au Conservatoire, les exemples et la documentation seront essentiellement tirés des premières années qui suivirent son arrivée, mises en parallèle avec les quelques années antérieures.

Lorsque, suite au décès d'Eugène Gigout (4 décembre 1925), Marcel Dupré est nommé professeur de la classe d'orgue du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, le 1er mars 1926, à l'âge de 40 ans, il a déjà une longue habitude de l'établissement et de ses pratiques : il y avait suivi les cours d'orgue de son maître Alexandre Guilmant , avait remporté en 1907 dans la classe de ce dernier un brillant 1er prix et avait également obtenu les premiers prix de piano (1905) et de fugue (1909). Après ses études, couronnées par un 1er Prix de Rome en 1914, Marcel Dupré eut de nombreuses occasions de participer aux activités du Conservatoire : son intégrale de l'oeuvre d'orgue de J. S. Bach en concert en 1920 eut un grand retentissement qui ne fut sans doute pas étranger à sa nomination à la classe d'orgue, face à des concurrents aussi célèbres et expérimentés que Vierne et Tournemire. Il fut régulièrement membre du jury des concours et examens d'orgue à partir de 1921 et fut l'auteur des thèmes de fugue d'examen d'entrée en 1921 et de concours de 1922, et du thème d'improvisation libre de concours de 1923.


Marcel Dupré et sa classe d'orgue (dessin de J. Simont paru dans L'Illustration le 29 octobre 1938).
De gauche à droite : Marie-Louise Girod, Marcel Dupré, Geneviève Poirier, Philippe Rolland, Jacques Laboureur (premier plan) et Pierre Segond.

(Collection : Bruno Chaumet)

Quel est le cadre institutionnel du Conservatoire en 1926 ? Le directeur est Henri Rabaud, qui a succédé à Gabriel Fauré en 1920. L'école, après avoir été située rue du Faubourg Poissonnière depuis sa création en 1795, s'est installée dans les locaux de la rue de Madrid en 1911. Charles Mutin y construit, en 1910-1911, un orgue neuf de 22 jeux sur 2 claviers manuels de 61 notes et un pédalier de 32 notes, en remplacement des deux instruments de 16 et 17 jeux réalisés par Cavaillé-Coll en 1872 dans l'ancien Conservatoire. Mutin installe son instrument dans la "Salle des examens" du nouveau Conservatoire, également salle d'orchestre, mieux connue sous le nom de "Salle Berlioz". Les caractéristiques et la composition de l'orgue sont dictées par Guilmant, alors professeur d'orgue, et consistent en une base romantique timidement néo-classicisée par l'adjonction d'un Nasard au Récit expressif. Entre 1918 et 1922, sous le professorat de Gigout, une souscription est lancée pour obtenir la construction d'un orgue d'études, afin de soulager l'utilisation de l'orgue de la classe. Ce modeste instrument de 8 jeux sur 2 claviers manuels de 56 notes et un pédalier de 30 notes, est installé définitivement en 1922 dans une salle appelée le "Théâtre A".

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Odile Jutten (1999)